20 Octobre 2016
Newsletter automne 2016
Bonjour à tous et à chacun. C’est mon mot d’introduction, mais j’avais bien envie d’écrire en référence à Geneviève Tabouis : «Attendez-vous à savoir…».
Oui, attendez-vous à ne rien savoir sur le cri du mulet, ou bien pas grand-chose. En effet, il n’y a pas si longtemps, désireux de connaître quel était dans la langue française le cri du mulet, je me suis laissé aller à poser la question à un grand linguiste reconnu. Que nenni, pas de réponse !
En fait, le mulet possède un cri modulaire bien particulier qui s’apparente en partie au hennissement du cheval, et peu ou prou au braiement de l’âne. On peut dire alors qu’il brainit. Le Mario quant à lui utilise le son avec parcimonie et justesse lorsqu’il souhaite être reconnu par des chevaux ou des ânes, ou bien en réponse à braiement. Cela vient davantage du poitrail que de la gorge, et donne l’impression d’une insuffisance respiratoire, tant le son est presque étouffé en comparaison du cri violent de l’âne.
L’expression de ce brainissement est touchante lorsqu’il sent ou voit son maître revenir après une absence prolongée (en ville, lors d’achat d’alimentation par exemple) alors qu’il se trouve à l’attache.
Lorsqu’il se sent perdu, inquiet ou seul, Mario pourra utiliser Le Brainhissement, sorte de corne de brume utilisant la mélodie du basson (un peu comme dans Pierre et le loup). Benoît et Bernard ont été témoins de cet inquiétant concert lors d’un arrêt à la cabane de Carette (1355m) dans le Vercors en juillet 2011. Durant la nuit, le mulet a été très agité et le matin on le sent anxieux : il galope en zig- zag à vive allure dans son paddock en « brainant ». Difficile à approcher, il regarde fixement le fond boisé du vallon, les grandes oreilles pointées devant lui. Il est en sueur, et je sais que la peur le tenaille comme un forceps. Il lui faut beaucoup de temps pour revenir à la quiétude, que pourtant ces magnifiques paysages nous inspirent à nous frères humains. Le lendemain, un gars du coin nous dira qu’un couple de loups erre dans ce territoire. Ouf, nous avons enfin l’explication de ce coup de folie de notre mulet, et saurons apprécier maintenant à sa juste valeur la haletante mélodie du basson, si un danger venait à surgir au détour d’un voyage.
Il est curieux également le bruit que fait Mario lorsqu’il dégaze : cela fait beaucoup rire les enfants ; mais restons concentrés sur notre sujet : le cri du mulet.
Il est curieux dis-je, l’appel du mulet, lorsqu’il réclame une gâterie ou du picotin. C’est une sorte de borborygme buccal articulé du bout des lèvres, mais venant du fond de son être en expiration profonde. Imaginez donc : « heu, heu, hun, hu.». D’ailleurs, quand je lui parle en mulet courant et non pas littéraire, j’emploie souvent cet onomatopée j’avoue bien humblement que l’on se comprend clairement. C’est pour cela que parfois, devant une incertitude, il m’arrive d’échapper ces mots : « j’en parlerai à mon mulet ». Voyez-vous, tout a un sens, même les paroles non verbales d’un mulet de bât. D’ailleurs, je constate qu’il ne comprend pas lorsque je lui parle chien »ouah, Oufa, ouah» ou bien mouton «bé, bê, bé». Alors !!
Il arrive parfois que par un effet d’identification, le mulet se prenne pour un cerf en rut en automne. C’est alors que son cri ressemble étrangement au brame du cerf caché au fond des bois. Bien qu’il soit stérile, le mulet s’émeut facilement à la vue ou à l’odeur d’une belle jument ou ânesse (peu lui importe), et son souffle est alors puissant et rauque. Les naseaux sont ouverts, le cou tendu, les oreilles en alerte. Il ne lui manque alors que les bois…
D’une façon générale, Mario ne brainit pas beaucoup, et quand il le fait c’est toujours pour une bonne raison. Son braiement ne dérange pas les gens chez qui nous faisons étape. A ce propos, nous recherchons tous les deux l’hospitalité pour notre marche -entre val de Cher et Sologne-première semaine d’avril 2017, sur les étapes suivantes : La Ferté Beauharnais, la Ferté St Cyr, Bracieux, Romorantin- Lantenay.
Mario est en fait un taiseux autant qu’un faiseux, et il ne parle plutôt qu’il ne crie. Parfois, plongé dans ce que je crois être ses réflexions métaphasiques, il fait semblant d’être un pseudo intellectuel qui réfléchit pour se donner un genre. Il n’y a que certains ânes pour braire à tout va ! Tout comme chez nous ; certains hommes ou femmes !
Mario affectionne l’expression non verbale en usant de son corps sans modération. Les coups de tête, les câlins par le museau, les bisous sur les coudes, les hochements de tête, les tiraillements de la longe de droite ou de gauche, et bien d’autres signes que seuls les muletiers savent décoder. (Tiens donc, si je continue à dire en début de paragraphe «Mario ceci ou cela» je ne serais pas loin de l’anaphore, mot qui m’épate tant il est chargé de promesses…) attention Jean ! Vous êtes hors sujet, veuillez-vous recentrer sur votre texte !
Patrimoine vivant de notre époque, Mario le mulet sait que dans nos voyages nous sommes hors du temps, tellement le monde se trouve loin derrière nous. Il ne peut le dire mais par exemple il ne sait plus quel jour nous sommes. Tout se passe lors de nos marches de grands chemins, en un seul moment intense qui s’arrête brusquement à l’arrivée. Il perd le nord, et nous aussi !
Pour finir, je dois vous raconter que j’ai revu le vieux paysan qui disait qu’à la météo «c’est tous des menteurs, encore plus menteur que moi ! » Et bien il m’a prédit «le beau temps que nous avons en ce moment : on va le payer, on va le payer…»
Attendez-vous à savoir : Hiver rude ? « On va le payer ! »
Dernière minute : Si comme moi vous lisez assidument le mensuel « nous deux » sachez que le 6 décembre de cette année paraitra un bel article sur un mulet singulier.
Jean, du pré de Basfer en octobre 2016.