RANDO MULET

Récits de voyages et randonnées diverses avec un mulet:UN VRAI MULET

Mario en Aube

mulet à colombey- les- deux- églises
Mario à colombey- les- deux- églises

 

 

Vous avez bien lu : Mario en Aube. Bien évidemment, il ne s’agit ni de potron-minet ni d’aube de première communion, mais bien du département de l’Aube.

Une petite semaine à parcourir cet automne (octobre 2019) dernier les chemins entre Bar-sur-Aube, Bligny, Clairvaux et Colombey-les-deux-Églises sous les couleurs turquoises de l’association L’Étoile de Martin.

Flyers distribués

 

dans le réfectoire des moines/chapelle des prisonniers.

Si on m’avait obligé d’aller parcourir cette région de l’est de la France, j’aurais dodeliné du bonnet en pensant « Cause toujours, j’en parlerai à mon mulet ! et pourquoi pas, pendant qu’on y est, de visiter aussi Creutzwald par exemple ? ».

Mais l’Aube, c’était pour la bonne cause. De plus, l’ami Patrice avec son regard équidistant de régional de l’étape s’était proposé de construire avec le muletier adjoint le voyage en combinant l’effort, la culture, l’histoire, la géographie, le sens, les rencontres… Alléchant programme très sympathique auquel je n’ai pas résisté.

Entre nous avec Mario, quatre marcheurs de bon aloi : la bonne humeur, la joie, la ferveur et la liberté nous accompagnent !

 

Dernièrement, une amie s’est penchée sur moi pour me dire : « En fait, du coup, quelque part, tu choisis toujours tes randos dans les pays de vin ! ». À vrai dire, je ne le fais pas exprès, mais beaucoup de régions où nous voyageons sont viticoles, que l’on se trouve en Moselle, en Champagne, en Bordelais, en Pays de Loire, en Alsace, dans le Jura… C’est ainsi, la France est franchement un pays de cépages et de terroirs et je ne fais pas les choix de randonnées sur le seul critère des vignobles.

Mario le MULET devant les vignes de champagne
des vignes drôlement pentues!

 

Tel Sancho Panza murmurant à son mulet (gravure: chateau de Cheverny)

Un autre ami m’a interrogé l’autre soir sur la condition du retraité muletier, et bien que cette échéance radieuse ne soit pas pour cette année j’ai aussitôt allumé mon poste de télévision pour connaître les doléances de la profession. Cela tombait bien car nous étions, en France, dans une période de manifestations face à la réforme des retraites. J’essayais de me renseigner sur l’évolution de mon « non-statut » (comme on parle des non-voyants où du mal-portant, au lieu de dire aveugles ou malade) de retraité muletier, mais les médias restaient totalement silencieux sur le sujet. Il paraîtrait même que les retraités en ce domaine ne sont pas en nombre suffisant pour former un groupe de revendications susceptibles de bloquer l’économie du pays et d’enrayer le chiffre d’affaires des commerces situés sur le parcours des manifestations. Je trouve que cela n’est pas juste, même si comme en musique une blanche vaut deux noires, je sais qu’au poids un mulet vaut bien 8 à 9 manifestants moyens. Je dis bien moyens.

C’est dommage, j’aurais ainsi découvert ce qu’est une retraite muletière non systémique ou non paramétrique dont se gargarisent les experts appelés en renfort par les chaînes télévisées. Je me suis demandé en toute bonne foi ce que m’apporterait une retraite systémique et surtout à quel moment je pourrais prétendre en bénéficier : oui, je me le suis vraiment demandé bien que je ne fasse pas vraiment parti du système !

La suppression des régimes spéciaux dont les muletiers sont pourtant fiers d’appartenir correspond à une réforme des retraites dite « systémique ». Si certains syndicats comme la confédération générale des mulets (CGM) y sont opposés, d’autres comme la CFDM y sont favorables. Le secrétaire général de cette centrale refuse cependant tout allongement de la durée légale de cotisation, ce qui reviendrait à faire une réforme dite « paramétrique ». D’autres encore soutiennent que la retraite des muletiers ne pourrait intervenir que lors de la mort (du décès) du mulet. Compte tenu de la longévité exemplaire de cet hybride dont l’espérance de vie moyenne s’établit autour de 42 ans, nous aurions, nous muletiers, la possibilité de prétendre à nos droits dans les mêmes fourchettes que le salarié standard. Il faudra toutefois prendre en considération un certain nombre de critères, parmi lesquels la durée de la formation et donc de l’entrée en activité ou également déterminer la nature de la pénibilité de la conduite de la couble ou des divers parcours tels que de grand chemin, au long cours, de navette, de voyages en groupe, d’investigation. Ce qui veut dire clairement que nous exigeons des adaptations différentielles pour ne plus subir le métabolisme urbain. Il ne faudrait pas non plus que nous soyons, nous muletiers, impactés par la clause du grand père, (ce serait clivant je dirai même glaçant) car tout comme les mulets, nous constituons une catégorie en voie d'extinction !

Et pendant ce temps là: la beauté des paysages!

Après un rapport du conseil d’orientation des retraites muletières (CORM) prévoyant un déficit du système de retraites, le gouvernement semble déterminé à réformer mais à condition que le système soit à l’équilibre. Il prône donc d’agir sur les paramètres – comme l’âge légal de départ à la retraite – en même temps que sur le système en lui-même. En somme, de faire une réforme aussi bien systémique que paramétrique. Étonnant n’est-ce pas ?

Attention ça peut-être glissant!

Je ne doute pas que la pseudo-solution serait une « applicabilité glissante » de la réforme muletière, c’est-à-dire une entrée en vigueur progressive, en fonction des particularités des différents régimes et éventuellement compensée par des mesures d’accompagnement. (Ça va bien glisser, c’est sûr !)

Avant toute décision, vous vous doutez bien que « j’en parlerai à mon mulet » pour lui faire part, entre autres, du malaise, de la souffrance des muletiers retraités qui, je le rappelle, sont une catégorie en voie d'épuisement.


 

Mario dans l’Aube était loin de se douter de ce tourbillon sociétal. Après l’avoir bâté sous une mi-pluie, nous avons quitté le camping les Roulottes de la Champagne à Bar-sur-Aube où Annabelle nous a reçus royalement en nous offrant l’hospitalité complète. Pour arriver à Bligny, nous avons parcouru de superbes chemins, nous avons fait halte sur ce qui reste d’un oppidum romain, contemplé du haut du camp romain situé entre la fontaine Germaine et le vallon des queues de renard, toute la ville de Bars. C’est en suivant tranquillement le GRP Gaston Bachelard, natif du pays, que nous sommes arrivés à Bligny.

halte au camp romain

 

Au matin, un ptit air d'harmonica pour la grand mère.

Nous étions attendus chez les champagnes Moutaux. Christine et Renaud Moutaux nous ont reçus comme des princes en nous offrant le gîte et le couvert. Surprise, surprise, lorsque Jennifer nous indique que nous coucherons dans le vendangeoir ! Qui n’est autre qu’un merveilleux gîte admirablement restauré avec goût et confort. Ce soir, nous rangeons nos duvets dans nos sacs et dormons dans de bons lits dressés avec couette. Ce soir-là, nos hôtes nous ont fait les honneurs de leur cave en nous expliquant par le menu toute la subtilité des champagnes et le blanc de blanc n’a plus de secret pour nous. La dégustation est totale… Un fastueux repas termine la soirée.

Le lendemain matin, nous partons vers Clairvaux et le bastage se fait sous la pluie. Entre hier et aujourd’hui les paysages saupoudrés de vignes, de forêts et de beaux chemins sont magnifiques et je ne regrette pas d’être ici en cet automne de la saint Martin. En route, à mi-parcours les « dames de Moutaux » sont venues nous apporter le repas de midi. C’est le top du top !

Clairvaux : ancienne abbaye cistercienne et centre de détention. Fondée au XIIe siècle par saint Bernard, elle reste un chef-d’œuvre français de l’architecture monacale, transformée en prison par Napoléon. C’est le lendemain matin vers 8h30 (spécialement tôt, car le chemin du retour vers Colombey est conséquent) que nous avons visité sous la conduite d’une guide érudite ce joyau en partie restauré : découverte de divers bâtiments retraçant l’histoire des lieux, le splendide bâtiment des convers avec son cellier et son dortoir (XIIe siècle), la grange du XVIe siècle, l’hostellerie des Dames et le Grand Cloître classique du XVIIIe siècle. Bien sûr, la prison ne fait pas partie de la déambulation ! « Au cœur de la vieille forêt gauloise couvrant comme une bure les collines et les vallées des premiers contreforts du Plateau de Langres. » Aux confins de la Champagne et de la Bourgogne. Terre de silence. Aujourd’hui, de très longs murs interminables, en rangées successives, interdisent toute vue sur les vestiges des splendeurs d’autrefois. Clairvaux est l’une des maisons centrales les mieux gardées de France.

Nous entrons dans cet immense site. A gauche ,l'hostellerie des Dames.

Le ministère de la Culture a repris l’espace des principaux bâtiments historiques. Ainsi, en visiteurs privilégiés pouvant entrer dans Clairvaux, nous découvrons cette ville close qui recèle des trésors d’architecture, mais aussi les fameuses et émouvantes « cages à poules » de la vieille prison.

En 1789, l’abbaye devient un bien national, puis elle est mise en vente et rachetée en 1792 par des industriels : un verrier et un papetier. Ils y installeront leurs ateliers, mais l’entretien du site revenant trop cher, l’abbaye est vendue à l’État napoléonien en 1808.

Les premiers condamnés correctionnels arrivent en 1814. L’ancien bâtiment des convers abrite ainsi les correctionnels des deux sexes. La centrale va évoluer en fonction des politiques carcérales et des exigences des entrepreneurs. Dès le début, la maison centrale est contrôlée par un système de régie économique. C’est-à-dire que ce sont des entrepreneurs privés qui ont en charge l’entretien des détenus et qui sont tenus de leur fournir un travail. L’État se décharge complètement des frais et du contrôle sur les conditions de vie dans la centrale, pouvant entraîner des abus comme a pu le montrer Victor Hugo en 1832 dans son roman Claude Gueux, dans lequel il retranscrit la vie de l’homme et son parcours à Clairvaux. Il y a aussi «le scandale de Clairvaux » de 1847 où l’on fait état de plus de 500 morts en moins de trois ans.

Mario en Aube
Mario en Aube
Mario en Aube
Mario en Aube
Mario en Aube
Mario en Aube
Mario en Aube
Mario en Aube
Mario en Aube
Mario en Aube
Abbaye/ prison: protégée par de hauts murs

Clairvaux est aussi connue pour avoir détenu des prisonniers célèbres entre ses murs tels que Blanqui. Elle devient la prison des révolutionnaires puisqu’elle abrita les communards en 1871, les anarchistes de Lyon en 1883, les insoumis de Verdun en 1916, des résistants dont Guy Môquet lors de la Seconde Guerre mondiale ainsi que des ministres et des collaborateurs de Vichy. Plus près de nous, comment ne pas évoquer la dramatique prise d’otages de Clairvaux par Buffet et Bontems en septembre 1971.

On le voit bien, Clairvaux n’est pas seulement un lieu d’isolement monastique…

les "cages à poules"

Et nous, ce soir-là nous couchons chez dame Irmgard à Outre-Aube (brr, brr), tout proche de ce lieu d’enfermement, et dînons en compagnie d’un ancien gardien ayant vécu de très près l’affaire des otages…

la grille est ouverte

Sur mon carnet de voyage, en « brève du soir » envoyée par SMS, je note :

« Extraordinaire journée aujourd’hui : un ciel d’azur, de beaux chemins en forêt, une très belle visite de l’abbaye de Clairvaux, puis en fin d’après-midi une arrivée à Colombey-les-Deux-Églises pour se recueillir sur la tombe du Général. Ce soir, nous sommes au gîte de la fromagerie tenue par Angelina : c’est top ! Mario comme d’habitude a été excellent, ses ennuis gastriques d’hier sont totalement dissipés. Je pense que de mauvaises plantes prises dans sa gloutonnerie ont dû l’encombrer. En cours de route, la télé locale est venue faire son tournage, sans maquillage et sans excuse nous n’avons pas été très bons, je dirai même plutôt mauvais…

La Télé :Canal 32 de Bar sur Aube a fini par nous trouver

Ce soir, nous partageons le gîte avec des poseurs et soudeurs de rails : on se cultive aussi grâce aux chemins de fer en marchant sur les chemins de terre ! ».

frugalité d'un casse croute dans un lavoir de village

Le dernier jour de marche fut le plus long pour terminer la boucle à Bar-sur-Aube. Une pluie persistante, pénétrante,

une pluie bien pénétrante...

 insidieuse nous ramollit la couenne et la moelle des os malgré nos parkas, houppelandes, coupe-vent et autres ponchos. Une pluie bien vivifiante qui nous donne curieusement du bonheur.

La boisserie vue du jardin des roses

Nous avons visité La Boisserie avant qu’un important groupe de camping-caristes ne se présente à la billetterie. Nous passons au pied de l’imposante et majestueuse Croix de Lorraine dressée sur un coteau, puis marchons sur de longs chemins de Marne blancs. Nous arrivons à notre point de départ chez Annabelle : son accueil est toujours aussi convivial et chaleureux, et ça fait du bien de se réchauffer chez elle.

 

Je note encore dans mes brèves du soir : « Ce soir, la fatigue me gagne mais mon cœur est content d’avoir marché sous les couleurs de l’association L’Étoile de Martin, cela donne tellement du sens à notre démarche. Ainsi se termine ce court périple rempli de belles rencontres. »

photo non truquée
journal de la Haute Marne du 21/10:2019

 

Envoi

En général, c’est un petit couplet final, destiné à faire hommage particulièrement à la fin d’une ballade. Nous, nous tromperons la poésie en l’appliquant à notre balade muletière.

Retraite, retraite paramétrique ?

Piaffe du pied puis hennit

Il se dit quand j’aurai fini

Retraite, retraite systémique.

vue de Bar-sur-Aube depuis l'oppidum

 

Jean, du pré de Basfer en décembre 2019

 

                                                                                                  Correction et relecture :Martine

 

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F
Bravo Jean ! (et les autres avec, je crois bien avoir reconnu Bernard sur une des photos).<br /> Tout est excellent, le fond et la forme, et j'ai vraiment bien rigolé sur tes histoires de retraites de muletier, paramétriques et systémiques ! du devrais aller raconter tout ça sur BFM, ça leur ferait du bien !
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R
Merci Fabrice pour ce ptit clin d’œil. Bises et bon Noël à vous deux. Jean
B
en effet , que de bons moments passés ensemble , sur ces chemins de l'Aube , entre Anne, Jean et Patrice !!!<br /> Enfin un éclairage intéressant sur le régime spécial des retraites de muletiers . J'en connait un qui a largement dépassé l'âge pivot de 52 ans ( départ des conducteurs de TGV ...) !!!!!<br /> Bon et joyeux Noel . Bises
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R
Belles fêtes de fin d'année pour toi et Yo. avec modération bien sûr.<br /> Bises
C
encore une fois bravo ! bonne fin d'année et gros bisous ! claire
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R
Belles fêtes de fin d'année. Bises à vous deux .Jean
A
Retraite muletière? Inexistante…<br /> Belle description de cette région, agréable compte rendu, tu sais nous captiver<br /> Bon Noël et bonne fin d’annee<br /> Bises
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R
belles et heureuses fêtes de fin d'année au milieu des tiens.Bises .Jean