RANDO MULET

Récits de voyages et randonnées diverses avec un mulet:UN VRAI MULET

UNE NOUVELLE,

-"Le jardinier passera tout à l'heure pour arroser les légumes, mais dès maintenant vous pouvez garer le véhicule à la place du père, il ne vient pas en ce moment."

En effet, peu de temps après ces précieuses indications la petite auto du jardinier vint se garer juste à côté du véhicule d’Hélène. Elle avait pris grand soin de garer sa polo au plus près du bâtiment laissant ainsi un espace confortable pour un deuxième stationnement.

Il mit un long moment à se garer faisant de nombreuses manœuvres inutiles, puis mit un temps interminable à sortir de sa voiture. Resté à distance, proche de la clôture éphémère du mulet, je regardais un insolite mais drôle de ballet à l'intérieur de la voiture: l'homme s'affaire derrière son volant, se penche sous la banquette du passager, ouvre prestement sa portière puis la referme vivement il pose un pied à l'extérieur mais se ravisant un instant il se réinstalle à nouveau sur son siège en gesticulant. Souhaitant me présenter, je me rapproche lentement du véhicule et constate qu'il est proprement habillé tout de gris vêtu, mais pas en tenue de jardinier. Il arrive enfin à s'extraire de l’auto avec dans ses bras des documents mal rangés qui sont à la limite de glisser.

En le voyant s'avancer avec impatience dans la cour je réalise que ce n'est pas un jardinier mais plutôt un administratif, une personnage courtelinesque qui passant à mon côté maugrée et marmonne furtivement des mots que je ne saisis pas. Ne répondant pas à mon salut, il se dirige à grands pas vers l'entrée du gîte. J'ai seulement le temps de lui demander qui il est, mais je n'aurais jamais la réponse car il passe tête baissée sans nous prêter aucune attention.

Cet homme est pour le moins curieux dans son comportement et son attitude est étrange voire nettement bizarre, bien loin de la bienveillance. Vous avez dit bizarre ?

 

J'avais réservé de longue date ce gîte paroissial d'une petite ville située sur le parcours de la voie Campaniensis et en arrivant en milieu d'après-midi je m’inquiétais de trouver porte close alors que j'avais pris soins de rappeler mon correspondant l'avant veille.

Finalement après plusieurs appels et un longue attente la dame gardienne vint, non pas grâce à mes appels téléphoniques mais parce qu’elle avait oublié de fermer les radiateurs et la boîte aux lettres. Elle me dit avoir d'autres préoccupations notamment celle de s'occuper d'une toute récente veuve qui ne sait plus qui elle est depuis son deuil d'hier!

En s'excusant de ce contre temps, elle m'explique le règlement du gîte et me donne les consignes de sécurité ainsi que les instructions à observer dans l'utilisation des divers accessoires ménagers. Ainsi je devais en cas de douche ne pas faire couler l'eau pendant le savonnage, fermer l'eau de la chasse d'eau après la mission, débrancher le frigo en quittant la pièce, remettre les couvertures pliées aux pieds des lits le matin, passer l'aspirateur avant de partir, quitter ses chaussures dans le gîte, débrancher radiateurs, bouilloires et prises électriques lors de notre départ... Que de très belles logiques d'actions que nous avons respectées à la lettre, sauf que la douche avait une pression de pipi d'oiseau, que le réservoir de la cuvette des toilettes ne pouvait évacuer efficacement les expulsions, que les ampoules étaient blafardes, que les puissants néons de la salle à vivre nous éblouissaient et que les lits à étages dataient vraisemblablement de Marc Sangnier...

Tout cela pour un prix supérieur au prix moyen des gîtes d'étape et de randonnée fréquentés tout au long de mes diverses marches muletières.

Pour le mulet, après 3 ou 4 contacts téléphoniques j'avais obtenu non sans peine l'autorisation du père afin que Mario passe la nuit dans la cour; avec une bonne ration de foin qu'il avait lui-même transporté à dos de mulet, bien sûr !

Pour la voiture d'Hélène j'avais également négocié l'autorisation de la laisser dans la grande cour, à l'emplacement exact de la place du père comme indiqué au début de cette nouvelle.

En chef de convoi attentionné, je m'efforçais de respecter en tous points les recommandations formulées la veille par la dame responsable du local. Au matin, après avoir tardivement préparé le mulet, démonté la clôture, mis le crottin sur une brouette rangée près du robinet du jardin nous ne laissions pas la clé à l'endroit convenu mais en apportant une légère variante aux consignes reçues: je remis la clé au locataire permanent de l'immeuble, bien sympathique bonhomme, qui me promis de la remettre en main propre à la madame...

C'est ainsi que nous partons sereinement vers la prochaine étape croisant des gens proprement masqués et cependant bien curieux de notre équipage. Il est 10 heures passés, le mulet va bien, nous sommes heureux de voyager en sa compagnie et nous avons un bon moral: Vézelay est encore bien loin mais la finalité de l'action s'inscrit dans nos têtes.

Pour deux d'entre nous, c’est l'aboutissement d'un voyage commencé à Aix la Chapelle en Allemagne: ''Ultriea'', Nous sommes sur le point d'aboutir.

marche à deux

On se concentre sur le chemin, on marche seul ou groupés, on chante, on respire. Le ''pas de la mule'' rythme notre cheminement et transforme l'effort en impulsion.

marche en réflexion

Tout cela favorise un itinéraire onduleux de la pensée qui va d'une réflexion à une autre sans se souvenir de la précédente. On dirait vraiment qu'elle se plaît à gondoler suivant soit un mot clé, une vision éphémère sur un arbre, un caillou, l’orthographe d'un nuage qui se dissout, soit une saute de vent qui rabat brusquement le béret dans les yeux ; En fait sur une marche au long ou moyen cours tout concoure à nous faire tourner l'esprit pour ''inventer'' le dedans de nous-mêmes. Par exemple si j'étais à cet instant en train de marcher je me demanderai bien ce que signifie le terme ''se réinventer'' pauvre facilité de langage tellement employée par nos chefs souverains ou leurs adjudants en mal de sémantique ! Je me demande bien pourquoi je dois me réinventer à nouveau alors que je préfère m'inventer encore. Par exemple et par analogie, si j'étais mort, je demanderai par anticipation de naître à nouveau, à renaître tel que la plupart des religions, des croyances ou des initiations nous l'enseigne. Tout cela est surprenant et est consécutif à une marche, telle celle-ci, en qualité augmentée. Cette méditation malgré soi est très captivante et la réflexion qui surgit ainsi dans la marche solitaire, tantôt furtive tantôt installée, contribue à pétrir l'intime pour resurgir bien plus tard dans un raisonnement achevé.

Bref, vers le troisième jour, pour me sortir de mes pensées vagabondes, voilà que je reçois sur mon téléphone le message suivant : «bonjour Monsieur, je suis Patrick. Je suis assez surpris de voir qu'une voiture est restée ici, heu, heu, c'est pas vraiment prévu heu, heu, surtout à cette place- là. Donc, Je ne suis pas vraiment satisfait. Vous avez prévu de la laisser jusqu'à quand ? Merci de votre message. »

La voiture d’Hélène garée dans la cour du gîte paroissial sur la place du père Patrick était donc en totale infraction au code épiscopal de la petite ville : un péché véniel en quelque sorte ! Et cette admonestation me faisait penser à l'histoire de Boucle d'or.

Souvenez-vous !revenant d'une promenade, la famille ours rentre dans leur maison. Papa ours voyant que les draps de son lit sont froissés s'écrit « quelqu'un s'est couché dans mon lit» Ici le maître des lieux aurait pu dire « quelqu'un a garé sa voiture à ma place! »

Surpris par ce message j'envoyais aussitôt un texto au père Patrick qui je m'en rappelle maintenant, avait eu un comportement désagréable lors de son arrivée dans la grande cours du gîte paroissial. Ce n'était donc pas le jardinier mais c'était lui le ''joyeux homme'' vêtu de gris. Pourtant l'espace extérieur du gîte est spacieux. Composé d'une grande cour, d'une pelouse où a dormi Mario, d'un jardin potager la surface peut être estimée à environ 3000m² et laisse donc la possibilité de stationner un grand nombre de véhicules.

Préférant la jouer cool, je lui répondais ceci: « Bonjour père Patrick, je reçois ce soir votre message posté il y a 3 jours puisque j'ai maintenant du réseau. En ce qui concerne le véhicule garé dans la cour du gîte paroissial, j'ai demandé l'autorisation de stationnement auprès de madame la responsable. Peut-être nous sommes nous mal compris ? Je suis vraiment désolé que cela vous pose un réel problème. Ainsi demain, en début d’après-midi le véhicule sera retiré. En vous remerciant . Cordialement. Jean. »

Voici sa réponse ; «Nous avions compris que la voiture restait une nuit, tout comme vous.

Je ne sais pas si le portail sera ouvert cette après-midi, bonne journée. »

on pensait déjà au pire!

 

Inutile de vous dire que cet avertissement nous faisait craindre une confiscation temporaire du véhicule en réprimande de notre grande faute! D'autant qu'Hélène devait impérativement s'en retourner chez elle avant la nuit.

Grâce à la complicité du locataire permanent logé au premier étage de l'immeuble nous avons pu obtenir la clé du fameux portail, permettant ainsi d'extraire la voiture otage.

 

vue vers la colline

 

portail du Narthex

 

Le soir, dans la simplicité de la basilique, la vesprée envahissait mon être et créait une harmonie bienfaitrice levant les angles morts de mes contradictions, de mes doutes et surtout de mes certitudes!

un appel...

Ce voyage comme beaucoup d'autres propage et distribue de l'énergie : Il contribue à régénérer le sens des choses et s'oppose en cela à l’immédiateté de l'époque.

La fatigue me gagne ,mais mon cœur est content... Ultreïa !

 

                                     Jean, en voyage dans le terroir Vézelien, en octobre 2020.

 

 

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B
A nouveau un magnifique périple .Un grand bonheur pour toi , et un ravissement pour nous à la lecture de tes savoureuses et belles pages <br /> MERCI
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D
Merci pour le blog :) passez me voir https://diane-jouet.blogspot.com/
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M
Toujours aussi plaisant de lire vos récits, Jean.... On ne s'en lasse pas.<br /> Merci à vous,
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M
Bonjour Jean,<br /> A la lecture de tes péripéties hospitalières, le gîte paroissial n'aura pas sa place dans le "Guide du routard" mais dans le "Guide du roublard !"<br /> Bon cheminement et à bientôt,<br /> très amicalement,<br /> Michel Dubois / 41110 Saint Aignan
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H
Merci pour ces nouvelles, nous ne pouvons deviner à quelle date seront les prochaines escapades. Bien amicalement. Serge et Michèle Harlé
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